Drépanocytose : l’efficacité de la thérapie génique dépend du degré d’inflammation de l’hôte

La drépanocytose est une maladie génétique héréditaire touchant les globules rouges : une simple mutation entraîne la fabrication de globules rouges malformés dits « en faucille » ou falciformes. Les globules rouges sont issus des cellules souches hématopoïétiques (CSH), capables de se multiplier très activement avant de devenir des globules rouges matures. Corriger la mutation dans ces cellules permet d’envisager la production de globules rouges « normaux » et donc de soigner la maladie. Pour ce faire, les chercheurs de l’Institut Imagine et le département de Biothérapie de l’Hôpital Necker-Enfants malades ont modifié génétiquement en laboratoire des CSH issues de patients drépanocytaires, avant leur réinfusions. Les patients ont été suivis par les équipes pendant 2 à 3 ans pour confirmer l’absence d’effets secondaires et le degré d’efficacité de cette thérapie génique.

Les résultats, publiés récemment dans Nature Communications, indiquent que cette nouvelle thérapie est sûre et n’entraîne pas d’effets secondaires dans les années qui suivent la greffe. Cependant, son efficacité est variable et dépend non seulement du nombre de CSH greffées, ainsi que de l’état inflammatoire de l’hôte et de ses répercussions sur la biologie de ses cellules souches. Ainsi ces données montrent qu’il est possible d’évaluer la qualité de ces cellules avant leur implantation, grâce à l’utilisation des nouvelles technologies d’analyses unicellulaires permettant la caractérisation fine de cette population rare de cellules. Cette étude constitue un grand pas en avant dans la mise au point d’une thérapie génique sûre et efficace pour traiter la drépanocytose, la « plus fréquente des maladies rares ». 

La drépanocytose est une maladie génétique répandue, dans laquelle une mutation ponctuelle dans le gène HBB affecte l’hémoglobine des globules rouges. Cette forme d’hémoglobine, dite drépanocytaire (HbS), s’accumule dans les globules rouges et induit une déformation de ces cellules, qui prennent une forme en faucille. Ces globules rouges déformés vont entraîner une anémie, des crises douloureuses et un risque accru d’infections. Si les traitements actuels ont permis d’augmenter grandement l’espérance de vie des patients affectés, ils restent encore limités. 

Les cellules souches hématopoïétiques (CSH) autologues (issues du patient-même), qui se nichent au sein de la moelle osseuse et sont à l’origine de toutes les cellules du sang, peuvent être génétiquement modifiées avant d’être retransplantées chez les patients : ce protocole est une option thérapeutique prometteuse pour les patients qui n'ont pas de donneur compatible. 

Ce traitement a déjà été utilisé dans un essai clinique chez des patients atteints de β-thalassémie, une autre maladie génétique hématologique. Les chercheurs de l’Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université Paris Cité) et le département de Biothérapie de l’Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP ont adapté le vecteur génétique développé dans cet essai pour l'utiliser dans la thérapie génique de la drépanocytose. Ce nouveau vecteur, appelé DREPAGLOBE, permet l'expression de la β-globine (le composant de l’hémoglobine) « saine » et réduit jusqu'à 50 % le taux de globules rouges en faucilles. 

Après production et validation de ce vecteur thérapeutique, un essai clinique a été lancé en novembre 2019 à l'hôpital Necker-Enfants malades, pour évaluer l'innocuité et l'efficacité de la thérapie par transplantation de CSH autologues modifiées avec le vecteur DREPAGLOBE. Les équipes ont examiné les facteurs qui peuvent influencer la prise de greffe de cellules génétiquement modifiées chez les patients drépanocytaires et l'efficacité de la greffe dans le cas de cette maladie dévastatrice. 

Le critère d'évaluation principal de l’essai clinique était la sécurité à court terme et les critères d'évaluation secondaires l'efficacité et la sécurité à long terme. Après 18 à 36 mois de suivi, aucun effet indésirable lié au traitement ou signe d'hématopoïèse anormale n'a été observé. Toutefois, malgré un nombre similaire de copies du vecteur dans le traitement initial, la fréquence de globules rouges « corrigés » et la correction de la maladie varient d'un patient à l'autre. Une analyse cellulaire chez les patients présentant une mauvaise prise de la greffe a montré que ces différences s’expliquent très certainement par le degré d’inflammation de l’hôte et ses répercussions sur la fonctionnalité de ses CSH. Les chercheurs ont ainsi caractérisé trois critères à respecter pour une efficacité de la thérapie génique : le nombre de CSH corrigées et greffées, le niveau d’inflammation et une absence de biais dans la différenciation des CSH. Grâce à ces éléments, un traitement spécifique sera proposé aux patients dans le nouvel essai clinique actuellement en préparation (essai DREPAMIR). 

Les résultats de cet essai, publiés récemment dans la prestigieuse revue scientifique Nature Communications, confirment que cette thérapie génique basée sur le vecteur DREPAGLOBE est sûre et sans effets secondaires sur court et long terme. Cependant, son efficacité est variable et dépend du nombre de CSH transplantées et de leur état inflammatoire évalué par l’activité des gènes, en lien avec des caractéristiques biologiques de l’hôte. Bien que la réponse au traitement reste encore à améliorer pour certains patients, cette étude constitue un grand pas en avant dans l’obtention d’une thérapie génique sûre et efficace pour traiter la drépanocytose, de manière personnalisée et avec des bénéfices prouvés sur le long terme. 

Référence : 
Severe inflammation and lineage skewing are associated with poor engraftment of engineered hematopoietic stem cells in patients with sickle cell disease
S Sobrino et al., Nat Commun., 2025
Corresponding author : Marina Cavazzana
DOI : 10.1038/s41467-025-58321-4