Mieux comprendre les maladies héréditaires de l’œil

Au cours des trente dernières années, les découvertes sur les maladies héréditaires de l’œil se sont multipliées, notamment grâce aux travaux de Jean-Michel Rozet à Imagine. Elles mettent au jour l’extraordinaire hétérogénéité génétique de la grande majorité de ces maladies.

Accélérer la recherche

Selon les derniers chiffres de l’Organisation Mondiale de la santé (OMS), à l’échelle mondiale, 1,3 milliard de personnes vivraient avec une déficience visuelle et 80 % des cas pourraient être évités grâce à une intervention médicale.

Jean-Michel Rozet est Docteur en science génétique de l'Université Paris Descartes et Directeur de Recherche Inserm. Il s’est formé à la génétique avec le Pr Arnold Munnich avant de devenir l’élève du Dr Josseline Kaplan à qui il a succédé en 2009 à la tête du laboratoire de génétique ophtalmologique de l’Institut des maladies génétiques Imagine. Dans la continuité des travaux pionniers initiés à la fin des années 1980, ses recherches portent sur les malformations oculaires congénitales et les maladies dégénératives du nerf optique et de la rétine photosensible, dont le traitement est au mieux balbutiant, le plus souvent inexistant.

Jean-Michel Rozet
Jean-Michel Rozet © Laurent Attias

Des maladies d’origine génétiques

Au début des années 1980, on ne connaissait rien des gènes, des mutations et des mécanismes biologiques à l’origine de ces maladies évoluant inexorablement vers la cécité lorsqu’elles ne sont pas congénitales. La prise en charge des malades et des personnes à risque de transmettre la maladie dans les familles était extrêmement limitée, voire inexistante. Sous l’impulsion du Dr Josseline Kaplan, une équipe de recherche se constitue en France, à l’Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, pour mettre au service des maladies héréditaires de la vue les plus précoces et sévères les outils d’exploration du génome qui voient le jour et connaîtront des développements spectaculaires aboutissant, dans les années 2000, au séquençage du génome en quelques jours et pour quelques centaines d’euros seulement.

Au total, le laboratoire de génétique ophtalmologique compte aujourd’hui à son actif l’identification de nombreux gènes de maladies emblématiques telles que :

  • l’amaurose congénitale de Leber, la plus précoce et sévère de toutes les maladies dégénératives de la rétine, responsable de cécité à la naissance ou dans les premiers mois de vie,
  • la maladie de Stargardt, une pathologie de l’enfant et de l’adulte jeune qui touche la  zone centrale de la rétine entraînant une perte progressive de l’acuité visuelle et est apparentée aux très fréquentes dégénérescences maculaires liées à l’âge (DMLA),
  • la maladie de Kjer et autres neuropathies optiques qui détruisent progressivement les fibres du nerf optique dont l’intégrité est essentielle à la transmission de l’information visuelle au cerveau,
  • la microcorie congénitale, une maladie extrêmement rare du développement de l’iris et une modèle d’étude du glaucome commun touchant près de 4% de la population générale,

ou encore

  • le syndrome de Gillespie, une maladie rare du développement de l’iris et du cerveau, au mode de transmission longtemps resté incertain, rendant périlleux le conseil génétique aux familles.

 

Pour continuer leurs travaux, chercheurs et médecins ont besoin de votre soutien,
Soutenez la recherche, faites un don,

Je soutiens l'Institut Imagine

Des prises en charge de plus en plus adaptées

Les découvertes réalisées au cours de ces trente dernières années ont mis en lumière l’extraordinaire hétérogénéité génétique – la maladie peut être due à des mutations dans plusieurs gènes, mais un seul d’entre eux est altéré dans une famille donnée – de la très grande majorité des maladies héréditaires de la vue. Celles étudiées par Josseline Kaplan et Jean-Michel Rozet ne dérogent pas à cette règle. La connaissance des gènes et des mutations responsables de ces maladies a transformé le conseil génétique en permettant, par exemple, de déterminer avec certitude le risque de récurrence de la maladie dans les familles. Au delà, les travaux menés par Josseline Kaplan et Jean-Michel Rozet ont bouleversé la prise en charge de plusieurs de ces maladies. C’est en particulier le cas de l’amaurose congénitale de Leber dont ils modifieront la définition avec la découverte d’une amélioration transitoire des performances visuelles chez certains enfants pouvant dès lors suivre une scolarité en milieu voyant, quand d’autres devront intégrer une école pour malvoyants. Ils contribueront également aux recherches qui établiront un lien entre certaines formes d’amaurose congénitale de Leber et les ciliopathies, une famille de maladies touchant variablement la rétine, le rein le cerveau et le développement osseux. Mais le plus important est qu’ils démontreront qu’il existe un lien très fort entre le gène en cause et l’évolution de la maladie, non seulement au plan oculaire mais aussi extraoculaire. Autrement dit, connaitre le gène de la maladie chez le tout jeune enfant permettra, dans de nombreux cas, de rassurer les parents devant un pronostic visuel rassurant et l’assurance d’une absence d’atteinte rénale, neurologique ou osseuse.

L’amélioration de la prise en charge des maladies héréditaires du nerf optique (neuropathies optiques) est également réelle. Josseline Kaplan et Jean-Michel Rozet sortiront de l’ombre des formes de la maladie longtemps ignorées qui s’avèrent être aujourd’hui relativement fréquentes et touchent volontiers tous les jeunes enfants. Ils identifieront plusieurs des gènes en cause, dont la connaissance permettra de placer les mitochondries au centre de ces maladies du nerf optique.

Les neuropathies optiques héréditaires

Les neuropathies optiques héréditaires sont des maladies neurodégénératives des cellules ganglionnaires de la rétine chargées de transmettre au cortex l’information visuelle reçue par les cellules photosensibles. La perte progressive de ces cellules et de leurs axones qui forment le nerf optique est responsable de malvoyance sévère, voire de cécité. Ces affections peuvent survenir à des âges variables allant des premiers mois de la vie jusqu’aux 4e et 5e décennies. A la fin des années 1980, les premières mutations responsables ont été identifiées dans l’ADN mitochondrial dont la transmission est strictement maternelle. Il faudra attendre l’année 2000 pour que le gène majeur des formes non maternelles, OPA1, soit identifié par le Pr Christian Hamel en collaboration avec Guy Lenaers, aujourd’hui directeur du Pôle de recherche et d'enseignement en médecine mitochondriale (PREMMi) à Angers, Josseline Kaplan, Jean-Michel Rozet et le Pr Dominique Bonneau, chef du Département de Biochimie et de Génétique du CHU d’Angers.

Ces découvertes ont donné une vision nouvelle des neuropathies optiques. Bien qu’invalidantes, ces atteintes oculaires doivent sans doute être considérées comme une manifestation a minima des maladies mitochondriales. Les derniers résultats des travaux collaboratifs initiés par le Pr Christian Hamel, il y a près de 20 ans, n’ont fait qu’étayer cette notion nouvelle avec l’identification de mutations du gène d’encéphalopathie néonatale létale DNM1L, dans trois familles multigénérationnelles de neuropathie optique strictement isolée. Au-delà, cette découverte apporte un éclairage nouveau sur la complexité des mécanismes responsables de la mort des cellules du nerf optique. De façon surprenante, DNM1L et OPA1 ont des fonctions diamétralement opposées. Ce premier est impliqué dans la fission des mitochondries, quand le second intervient dans leur fusion. L’équilibre subtil entre ces deux forces de fusion et de fission est donc un élément clé de la physiologie du nerf optique, probablement pour assurer une distribution énergétique efficiente tout au long du nerf optique.

Les travaux de Josseline Kaplan et Jean-Michel Rozet révèleront également que la quasi-totalité des gènes qu’ils ont découverts, sont également impliqués dans des maladies mitochondriales associant des troubles neurologiques et musculaires parfois extrêmement sévères, pouvant conduire à un décès précoce « Les gènes en jeu sont identiques, mais les mutations sont moins sévères dans les neuropathies optiques non-syndromiques héréditaires, note Jean-Michel Rozet. Cette découverte a totalement modifié la prise en charge des neuropathies optiques que nous pouvons aujourd’hui placer à une extrémité du spectre de sévérité des maladies mitochondriales. »

Cette description biologique des maladies de l’œil ouvre la voie à des prises en charge mieux adaptées aux risques et à l’évolutivité des symptômes, voire leur anticipation. Elle est aussi la condition sine qua non à la recherche de traitement pouvant restaurer les mécanismes altérés.

A l’heure des traitements

Aujourd’hui, l’heure est au développement de nouvelles stratégies thérapeutiques. Ces développements, très nombreux, sont rendus difficiles par l’extrême hétérogénéité génétique qui, souvent, s’accompagne d’une variabilité des mécanismes biologiques conduisant à la maladie ; c’est en particulier le cas de l’amaurose congénitale de Leber où de nombreuses fonctions rétiniennes peuvent être impliquées tels que la cascade de transduction visuelle, le métabolisme de la vitamine A, la protection contre les dommages induits par la lumières, le transport intracellulaire ciliaire, etc… S’agissant de cette maladie, un traitement par thérapie génique est en cours d’approbation : il consiste à transporter au niveau de la rétine une version normale du gène, appelée RPE65, responsable de 6 à 16 % de l'ensemble des cas de l’amaurose congénitale de Leber.

Parallèlement, l’équipe de Jean-Michel Rozet développe une autre approche de réparation des gènes par l’injection intra-vitréenne - un mode d’administration très largement employé en ophtalmologie, en particulier pour traiter la dégénérescence maculaire liée à l’âge -de petits oligonucléotides. Aujourd’hui des essais de phases 2 et 3 sont en cours pour évaluer cette stratégie thérapeutique.

Du diagnostic au développement thérapeutique, le patient a toujours été le moteur des recherches de Jean-Michel Rozet et de son équipe : La 1re retombée, c’est pour eux, explique le chercheur qui participe à de nombreuses filières de soins, s’implique auprès des associations de patients, participe aux réunions de concertation pluridisciplinaires, où les données cliniques présentées par les médecins sont confrontées aux données moléculaires générées au laboratoire. Cette approche du patient au patient constitue un véritable accélérateur de progrès.

Nul doute que prochainement, de nouvelles découvertes verront le jour et ce, avec toujours en tête, leur applications concrètes pour les jeunes enfants touchés par des maladies des yeux.