Portrait de médecin-chercheur : Julien Zuber

Concilier médecine et recherche, c’est pour Julien Zuber un excellent moyen de faire avancer la prise en charge des patients. Spécialiste de la transplantation rénale à l’Hôpital Necker-Enfants malades, il développe à l’Institut Imagine des techniques d’ingénierie génétique pour protéger un organe transplanté du phénomène de rejet.

Published on 03.07.2020

Soigner

Néphrologue de formation, Julien Zuber s’est spécialisé en transplantation rénale et est Professeur d’Immunologie à l’Université de Paris. Depuis 15 ans, il participe à l’activité du service de transplantation rénale adulte de l’Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, où il suit actuellement en consultation des patients transplantés.

Julien Zuber

Greffe de rein : peu de rejets grâce au traitement antirejet

La transplantation rénale qui consiste à implanter en position hétérotopique un rein prélevé sur un donneur – le greffon –  est pratiquée chez un patient souffrant d’insuffisance rénale chronique terminale. Elle améliore la qualité et l’espérance de vie. « Aujourd’hui, on obtient de très bons résultats avec 90 à 95 % de survie du greffon à un an, et ce en raison de la diminution considérable des rejets aigus et d'une prévention plus efficace de la plupart des infections » explique Julien Zuber. La personne transplantée doit toutefois prendre un traitement antirejet à vie, ce qui n’est pas sans risque.

« L’organe provient d’un donneur qui ne partage pas toutes les identités tissulaires du receveur. Cette différence génère une réponse immunitaire qui conduit inexorablement vers un phénomène de rejet sans traitement » décrit le néphrologue. A ce jour, seuls les traitements immunosuppresseurs permettent d’éviter la perte du greffon, mais leur administration au long cours est associée à un sur-risque infectieux et augmente d’un facteur 60 à 250 le risque de cancer de la peau. »

Donc, quand le Dr Julien Zuber passe sa blouse de chercheur et intègre le laboratoire de Lymphohématopoïèse humaine d’Isabelle André, c’est pour trouver des alternatives aux immunosuppresseurs. Avec l’ingénierie génétique, et notamment les CAR-T cell, il est déjà possible d’apprendre aux cellules du système à reconnaitre et détruire des cellules tumorales.

Les CAR-T cell ou l’art de l’ingénierie génétique

Aujourd’hui, les premiers essais cliniques ont d’ores et déjà fait la preuve du bénéfice des CAR-T Cell – pour cellules T porteuses d’un récepteur chimérique – pour traiter des patients atteints de tumeurs hématologiques. Le principe consiste à prélever des lymphocytes T, les cellules plus communément appelées globules blancs et connues pour monter une réponse du système immunitaire contre les cellules étrangères ou dangereuses pour l’organisme, et à les modifier génétiquement in vitro pour qu’ils expriment à leur surface un récepteur chimérique. Ainsi modifiés, et une fois réintroduits chez les patients, ces lymphocytes vont reconnaître les cellules tumorales et déclencher leur destruction. « En cancérologie, on modifie génétiquement des lymphocytes dits tueurs, précise Julien Zuber. Notre idée serait de modifier des lymphocytes T régulateurs (Treg) qui participent à la tolérance immunitaire en contrôlant l'activation des lymphocytes effecteurs. Si on confère à ces cellules régulatrices des capacités de reconnaissance du tissu ou de l’organe transplanté, on peut envisager atténuer la réponse immunitaire et ainsi protéger le greffon. »

Grâce notamment au soutien du DIM thérapie génique, coordonné par Marina Cavazzana à l’Institut Imagine et soutenu par la région Ile-de-France, le médecin-chercheur dispose désormais d’un appareil pour suivre in vivo le devenir des CAR-Treg dans des modèles animaux. Il a déjà pu faire la preuve de faisabilité et d’efficacité des CAR-Tregs dans un modèle pré clinique. Il cherche maintenant des modèles plus proches et plus pertinents en termes de transfert vers l’homme.

Et le dynamisme du médecin, joint à sa motivation d’améliorer le quotidien des patients transplantés, va très certainement lui permettre de franchir rapidement toutes les étapes sur le chemin du passage en clinique.

COVID-19 : adaptation et intensification de l’activité clinique

Et cela bien qu’au moment de l’épidémie de COVID-19, Julien Zuber ait dû mettre en pause son projet de recherche pour augmenter son implication clinique et l’adapter. « Mon activité clinique est habituellement centrée sur le suivi en consultations de patients transplantés, raconte-t-il. Outre leur statut d’immunodéprimé, ils ont souvent plusieurs comorbidités qui requièrent un suivi régulier, et l’orchestration d’une prise en charge pluridisciplinaire. Le lien ne peut être rompu, même pour quelques semaines. A contrario, ces patients présentent pour la plupart plusieurs facteurs de risque les définissant comme des personnes très vulnérables vis-à-vis de l’infection COVID-19. Il est donc préférable d’éviter les contacts en milieu hospitalier. Il a donc fallu mettre en place très rapidement une activité de téléconsultation. » Par ailleurs, il a aussi au plus fort du pic épidémique prêté main forte à ses collègues des soins intensifs, alternant avec des semaines dévolues au suivi des patients externes ou non-COVID. « Car c’était physiquement et psychologiquement éprouvant, précise-t-il. La prise en charge des patients COVID-19 exige une rigueur constante dans les procédures d’habillage et de retrait des protections souillées à la sortie des chambres. Cette discipline s’impose en pratique dès l’entrée dans le secteur COVID où l’air est considéré comme potentiellement contaminant, et constitue en soi une source de tension et de fatigue. Les procédures de soins sont donc plus longues, nécessitant de doubler les effectifs médicaux les jours fériés et de week-end. Dans le même temps, nous avons laissé partir la moitié de nos plus jeunes collaborateurs pour renforcer les effectifs des réanimations franciliennes en difficulté. Pour moi, qui n’exerçais plus en salle mais uniquement en consultation, c’est un retour à une activité ancienne qui demande une implication plus forte. La solidarité et la flexibilité ont en effet été essentielles pour face au surplus de gardes nocturnes et d’astreintes. »

Aujourd’hui, Julien Zuber commence à reprendre son activité de recherche dans l’objectif de mettre au point cette biothérapie qui permettra d’induire une tolérance vis-à-vis du greffon et de s’affranchir des traitements immunosuppresseurs, principalement chez les plus jeunes patients qui vont être obligés de vivre avec leur greffe de nombreuses années.

Vivre avec une greffe de rein : le témoignage de Sabrina Azzi

 

A l’âge de 6 ans, Sabrina Azzi été diagnostiquée d’un syndrome d’Alport, une maladie génétique qui entraîne une insuffisance rénale terminale très rapidement. Face à un rein défaillant, il existe deux options : la dialyse pour palier le dysfonctionnement rénal ou la greffe de rein. Sabrina Azzi a connu les deux et même deux greffes de rein. La première fois, elle avait 17 ans. Après avoir vécu sous dialyse, un traitement contraignant qui oblige à se rendre dans un établissement spécialisé trois fois par semaine pour des séances de quatre-cinq heures, pendant 4 ans, elle a accueilli cette première greffe comme un soulagement, d’autant plus qu’elle l’avait attendu 2 ans.

Tout ne se passe pas comme prévu, puisque Sabrina va développer une réaction aux immunosuppresseurs censés réduire les risques de rejet de greffe.

« Au bout de 10 ans, je m’attendais au rejet du rein par mon organisme, car j’étais mal physiquement et j’avais des nausées, décrit Sabrina Azzi. Ce ne fut pas un choc. Par contre j’ai dû de nouveau avoir des dialyses pendant 18 mois en attendant qu’un rein soit disponible. J’espérais beaucoup de cette 2e greffe, toutefois ce fut beaucoup plus dur que la 1ère ».

Au bout de 3 semaines, les premiers signes de rejet apparaissent. Ils sont dus à une réaction de défense du système immunitaire, très proche de celle observée lors d’une infection, avec l’intervention de plusieurs acteurs immunitaires dont les lymphocytes T, des anticorps et des cytokines. « Heureusement, la recherche avait progressé en 10 ans et on m’a fait plusieurs séances de plasmaphérèse (prélèvement de la partie liquide du sang contenant notamment les anticorps NDLR) sur plusieurs mois et traité par immunoglobuline, » explique Sabrina Azzi. Quant au nouveau traitement immunosuppresseur – le premier ayant été abandonné car il avait abimé le 1er rein - , il a favorisé la survenue de cancer de la peau. Sabrina Azzi en a développé deux, un au niveau du palais et un sur l’oreille pendant sa grossesse. Car cette 2e greffe aura aussi eu son lot de joies, et notamment la possibilité d’avoir une petite fille qui a désormais 3 ans et demi.

« La greffe c’est une renaissance, enchaîne Sabrina. Et ces dernières années les progrès se sont accélérés, notamment en néphrologie. Il y a de plus en plus de greffes et surtout de greffes qui fonctionnent. On anticipe aussi mieux les rejets, ce qui facilite leur gestion. Mais il ne faut pas baisser les bras, que cela soit au niveau de la sensibilisation au don d’organe, mais aussi pour le développement de nouvelles approches pour éviter les rejets de greffes et améliorer la qualité de vie des patients. » C’est dans ce domaine que les travaux de recherche de Julien Zuber à l’Institut Imagine prennent toute leur importance : il développe des techniques d’ingénierie génétique pour protéger un organe transplanté du phénomène de rejet.