Achondroplasie : un pas de plus pour des traitements innovants

Le rêve de Laurence Legeai-Mallet, faire grandir les personnes atteintes de nanismes, est devenu une réalité. Il lui aura fallu persévérance et pugnacité pour voir plusieurs programmes pré cliniques qu’elle a menés depuis 1994 sur la forme de nanisme la plus fréquente, l’achondroplasie, aboutir à des essais chez l’Homme. Aujourd’hui, elle se réjouit de voir que plusieurs nouvelles molécules, dont certaines émanant directement de ses recherches sur les mécanismes dérégulés dans l’achondroplasie, sont en essai clinique à travers le monde.

Soigner

L’achondroplasie désigne la forme de nanisme la plus courante. Elle concerne environ une naissance sur 20 000. Le trait principal de cette maladie est une taille bien plus petite que la moyenne, associée à un raccourcissement des membres : la taille moyenne d'un adulte est de 131 cm pour les hommes et 124 cm pour les femmes. Du fait d’un défaut de la croissance osseuse, les personnes atteintes d'achondroplasie présentent aussi une grande disproportion avec un tronc de taille moyenne, des jambes et des bras eux très courts, une lordose et un crâne plus large que la moyenne (macrocéphalie).

Du gène responsable….

C’est en 1994 que Laurence Legeai-Mallet co-découvre le gène responsable de l’achondroplasie, le gène FGFR3. Dès sa création, la chercheuse a rejoint l’Institut Imagine avec le laboratoire « Bases moléculaires et physiopathologiques des ostéochondrodysplasies » qu’elle dirige (Inserm/Université de Paris) après avoir contribué à le créer avec Valérie Cormier-Daire. Depuis, son équipe ne cesse d’explorer les mécanismes dérégulés par l’altération de ce gène et de mettre au point des modèles cellulaires et animaux pour tester différentes molécules permettant de contrecarrer ses effets délétères.

Laurence Legeai-Mallet

Parmi les faits étonnants, il faut noter que dans 99 % des cas, les patients sont porteurs de la même mutation de FGFR3 : il s’agit d’une mutation « faux sens » qui entraîne le changement d’une seule « lettre » dans la partie du génome contenant l’information nécessaire à la production de la protéine FGFR3. Dans 80 % des cas, la mutation survient spontanément lors de la fécondation ; il semblerait que l’incidence augmente avec l’âge du père. Il s’en suit la production excessive de la protéine FGFR3, ce qui altère l’ossification, mécanisme qui transforme les tissus cartilagineux en os, graduellement de l'enfance à la puberté.

« Le cartilage constitue une grande partie du squelette au cours du développement précoce. Dans l'achondroplasie, le problème ne réside pas uniquement dans la formation du cartilage, mais dans sa formation en os, en particulier dans les os longs des bras et des jambes et des vertèbres » explique la chercheuse.

… aux mécanismes dérégulés…

La croissance osseuse est contrôlée par la protéine FGFR3 présente à la surface des cellules du cartilage, les chondrocytes, mais aussi des formes précoces de cellule osseuse, les ostéoblastes. En raison de sa mutation chez les patients achondroplases, FGFR3 est en permanence activée, ce qui perturbe l'équilibre entre prolifération et différenciation dans les cellules de la plaque de croissance, siège de la progression osseuse. Il s’ensuit une diminution de l'élongation osseuse.

Pendant la petite enfance et l'enfance, la croissance osseuse se produit progressivement, avec une phase active avant la puberté. L'élongation osseuse est essentiellement déterminée par l'activité des différentes plaques de croissance et la formation des centres d'ossification, tous deux affectées dans l’achondroplasie suite à la mutation FGFR3.

Diagnostic : clinique et radiologique

Dans 80 % des cas, il s’agit d’une mutation de novo qui n’existait donc pas chez les parents. L'échographie prénatale peut permettre de repérer des caractéristiques communes de l'achondroplasie telles que des membres raccourcis, une base crânienne courte et un thorax étroit. Ces caractéristiques n’apparaissent généralement qu’après 26 semaines de gestation. Toutefois, seule l’analyse du gène FGFR3 certifie le diagnostic en période prénatale. Si le diagnostic n’a pu être établi avant, il est posé à la naissance suite aux analyses cliniques et radiologiques.

Au-delà de la petite taille et des jambes et bras courts, l’achondroplasie s’accompagne d’autres problèmes médicaux comme des douleurs, l’apnée du sommeil, des otites récurrentes, une compression de la moelle épinière pouvant aller jusqu’à la paralysie, auxquels s’ajoutent les difficultés quotidiennes et des troubles psychosociaux. 

 

…à la molécule thérapeutique…

Jusqu'à très récemment, les options de traitement pour les personnes atteintes d’achondroplasie se limitaient à des modalités chirurgicales lourdes et douloureuse d’allongement des os longs

La connaissance du gène muté et de ses conséquences ont permis de développer de nouvelles options thérapeutiques. Laurence Legeai-Mallet et son équipe ont largement participé à décrypter les mécanismes associés à l’hyperactivité de la protéine FGFR3. Cette protéine est l’un des 4 récepteurs de tyrosine kinase de signalisation (FGFR), qui interagissent avec les protéines qui contrôlent la signalisation des facteurs de croissance des fibroblastes (FGF) chez les mammifères. Des défauts de la voie FGF sont impliqués à la fois dans les troubles du développement, comme par exemple le nanisme, mais aussi dans un large éventail de cancers, dont ceux de la vessie, du myélome, du col de l'utérus, de la prostate et des testicules également dans tumeurs bénignes (naevus, acanthosis nigricans...).

En plus de décrypter les mécanismes dérégulés par la mutation de FGFR3, Laurence Legeai-Mallet et son équipe se sont attelés à trouver des molécules capables de contrecarrer l’hyperactivité de FGFR3, et notamment parmi celles utilisées en cancérologie. C’est ainsi qu’en 2016, elle publie les résultats montrant que NVP-BGJ398 était un candidat possible. Cette molécule, sous le nom d’Infigratinib, faisait alors l’objet chez Novartis d’un essai clinique de phase 2 pour traiter des patients atteints de cancer des voies biliaires, une piste thérapeutique depuis abandonnée.

« La molécule NVP-BGJ398 réduit la phosphorylation de FGFR3, responsable de son hyperactivité, explique Laurence Legeai-Mallet, et corrige la croissance fémorale anormale dans nos modèles animaux de la maladie. De plus, nous avons démontré qu'une faible dose de NVP-BGJ398, injectée par voie sous-cutanée, était capable de pénétrer dans la plaque de croissance de ces mêmes modèles et d'en modifier l'organisation. »

… et aux essais cliniques

Aujourd’hui cette molécule (Infigratinib) fait l’objet d’un essai clinique par QED Therapeutics. Le 15 juillet 2020, la 1ère administration de la molécule a été effectuée chez une jeune patiente à Melbourne, en Australie, dans le cadre d’un essai clinique de phase 2 coordonné au niveau international par Ravi Savarirayan du Murdoch Children's Research Institute à Melbourne (Australie).

Les résultats positifs d’un autre essai clinique également piloté par Ravi Savarirayan viennent par ailleurs d’être révélés : ils concernent le vosoritide, une molécule développée par BioMarin, à partir des études précliniques menées par Laurence Legeai-Mallet. L’étude de phase 3 – la phase juste avant la commercialisation – montre que les enfants atteints d’acondroplasie traités par cette molécule ont en moyenne gagné 1,57 cm en une année par rapport aux autres enfants non traités. Aucun effet secondaire majeur n’a été noté, mais le traitement nécessite une piqûre quotidienne.

Reste à savoir désormais si ce traitement est efficace sur la durée. Les espoirs en termes thérapeutiques sont donc nombreux autour de l’achondroplasie, et il est probable que les différents traitements apportent des solutions complémentaires aux personnes atteintes par cette pathologie.

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