Comment l’étude des maladies génétiques apporte des connaissances en cancérologie

Les cancers sont des maladies génétiques de la cellule. En effet, ils se développent à la suite d’une accumulation d’erreurs dans le matériel génétique d’une cellule somatique. Il s’en suit alors des dérèglements des grandes fonctions cellulaires. Les cellules échappent progressivement à tout contrôle, deviennent sourdes aux signaux extérieurs. Elles se multiplient et se propagent de manière dérégulée, mettant en péril l’organisme. Il existe de nombreux liens entre l’étude des maladies génétiques souvent rares, survenant la plupart du temps chez de jeunes enfants, et les cancers. Plusieurs laboratoires d’Imagine se positionnent donc sur les deux fronts.

Publié le 02.02.2021

Accélérer la recherche

Olivier Hermine : génétique et hématologie

L’équipe de recherche d’Olivier Hermine est spécialiste des maladies hématologiques comme les mastocytoses, causées par l'accumulation d’un type de cellules sanguines, les mastocytes, dans divers tissus, et pouvant déboucher sur une forme maligne, mais aussi d’autres cancers du sang. Le point commun de ces recherches est l’étude des mécanismes de production des différentes cellules du sang. La moindre défaillance dans ce système peut conduire à la production d’une cellule pathologique.

La compréhension à l’échelon moléculaire et cellulaire de ce système apporte des éclaircissements sur les mécanismes des anémies, maladies qui s’accompagnent d’une baisse du nombre de globules rouges, mais aussi sur d’autres pathologies comme les cancers, où les cellules prolifèrent trop et les maladies dites dégénératives, où les cellules meurent précocement, expliquait Olivier Hermine, qui explore l’ensemble de ces champs lors de son intronisation à l’académie des sciences. Son équipe s’attèle notamment à identifier les voies de signalisations mises en jeu dans le développement des leucémies à mastocytes. Il a ainsi participé à identifier la mutation à l’origine des mastocytoses qui favorise la « cancérisation » des cellules. Cette mutation touche le gène C-kit, un oncogène, qui régule la division cellulaire. Il a mis en évidence que les mutations de C-kit n’affectent pas de la même façon la protéine chez l’enfant et l’adulte, et mis au jour une molécule pouvant bloquer ces mécanismes : le masitinib. La start-up AB Science, dont il est conseiller scientifique, est en charge du développement de cette molécule et de l’étude de son efficacité dans divers cancers et autres pathologies.

Désormais, avec son équipe, dans le but de traiter les patients avec des maladies prolifératives comme les leucémies, mais aussi d’autres cancers qui ont également besoin de fer pour proliférer et survivre, il développe un anticorps pour traiter certaines tumeurs agressives, celles qui prolifèrent le plus étant celles qui expriment le plus de récepteurs et donc en théorie les plus sensibles au traitement.

Sylvain Latour : des déficits immunitaires et cancers associés à l’infection par le virus d’Epstein Barr au développement de nouvelles approches thérapeutiques du cancer

L’équipe de Sylvain Latour étudie les mécanismes de la réponse immunitaire impliqués dans le contrôle de l'infection par le virus Epstein Barr (EBV) qui est le principal virus chez l’homme responsable de plusieurs cancers incluant certains types de lymphomes et carcinomes. Ses modèles d’étude sont des immunodéficiences génétiques conduisant à une susceptibilité particulière à l’infection par l’EBV  entraînant l’apparition de maladies lymphoprolifératives et inflammatoires comme le lymphome et la lymphohistiocytose hémophagocytaire. L'équipe a récemment montré que la CTPS1 (CTP synthétase 1), une enzyme impliquée dans la synthèse de novo du nucléotide CTP, est un facteur clé de la prolifération des lymphocytes activés. La déficience en CTPS1 chez l'homme entraîne une forte susceptibilité aux infections virales, en particulier à l'infection par le virus de l’EBV, ce qui met en évidence le rôle crucial de la prolifération et de l'expansion des lymphocytes T activés lors des réponses immunitaires.

Sur la base de cette découverte, la société Step-Pharma (www.step-ph.com) a été créée (dont Alain Fischer et Sylvain Latour sont les créateurs et collaborateurs scientifiques) pour développer des inhibiteurs de CTPS1 qui pourraient représenter un nouveau traitement des maladies causées par une prolifération excessive des lymphocytes T comme le lymphome T. D’autres travaux de l’équipe ont permis aussi de proposer une nouvelle thérapie génique visant à ré-initier une réponse immunitaire anti-tumorale pour le traitement de certains lymphomes B déficients pour la molécule CD70. La preuve de concept de cette approche est cours d’étude.

Jean-Pierre de Villartay et Patrick Revy : des défauts de réparation de l’ADN aux cancers

L’équipe de Jean-Pierre de Villartay et Patrick Revy s’intéresse à la réparation des lésions survenant dans le matériel génétique. Sachant que la défaillance de la réparation de l’ADN est l’un des mécanismes mis en cause dans les cancers, leurs travaux de recherche ont bien évidemment des répercussions en cancérologie. L’équipe s’attache à comprendre les conséquences des défauts de réparation de l’ADN dans les pathologies humaines, liées notamment au système immuno-hématologique, mais aussi à certains cancers rares de l’enfant. Dans l’équipe, Erika Brunet étudie tout particulièrement les mécanismes d’instabilité génomique et modélise des lymphomes et des sarcomes pédiatriques rares, comme les tumeurs d’Ewing, par CRISPR/Cas9.

Nadine Cerf-Bensussan : quand la maladie cœliaque se transforme en lymphome invasif.

La maladie cœliaque est au cœur des recherches de Nadine Cerf-Bensussan depuis de nombreuses années et pour cause, cette directrice de recherche Inserm, responsable d’un laboratoire à Imagine, est spécialiste des liens entre système immunitaire et intestin. Dès lors que la coopération entre les cellules qui tapissent la paroi de l’intestin et celles du système immunitaire se détériore, le risque d’inflammation ou de tout autre dommage est grand, comme l’illustre la maladie cœliaque. Chez environ 0,5 % de ces patients, les lésions intestinales ne guérissent pas malgré un régime sans gluten strictement suivi indiquant l’apparition d’une maladie cœliaque réfractaire. Les travaux réalisés par l’équipe Nadine Cerf-Bensussan, en étroite collaboration avec le réseau CELAC, ont contribué à élucider les mécanismes de résistances dans les maladies cœliaques réfractaires. Chez la moitié des patients, la résistance au régime révèle un lymphome qui évolue d’abord à bas bruit puis peut se transformer en un lymphome invasif de très mauvais pronostic.

Jeanne Amiel et Stanislas Lyonnet : quand les mêmes gènes sont associés à des cancers ou à des malformations congénitales suivant la nature de leur mutation.

L’équipe des Pr Jeanne Amiel et Stanislas Lyonnet étudie depuis une dizaine d’années le cas d’enfants atteints de malformations multiples non diagnostiquées, affectant le système nerveux du tube digestif, le développement du cerveau, du cœur et du squelette. Cela a été le cas dans les exemples emblématiques des gène RET et PHOX2B. Mais tout récemment, en 2020, ce laboratoire, en collaboration avec plusieurs équipes internationales, a démontré que la perte de fonction d’un récepteur de la voie Sonic Hedgehog, codé par le gène SMO est responsable des malformations congénitales de ces enfants. Or, des mutations somatiques du même gène SMO ont été rapportées dans des tumeurs de nature variées.

Cette découverte montre que des gènes impliqués dans des cancers de l’adulte par des mutations somatiques dans les tissus, peuvent être, chez l’enfant, par d’autres mutations et d’autres mécanismes, impliqués dans des malformations congénitales, et qu’un oncogène, impliqué dans des mécanismes de prédisposition tumorale à l’âge adulte, peut, lorsqu’il s’agit d’autres mutations qui inactivent ce gène, être responsables de malformations de naissance.