COVID-19 : Mettre au jour une signature des patients à risque de développer une forme sévère

Quel patient va développer une forme grave de coronavirus ? C’est pour répondre à cette question que les équipes de Frédéric Rieux-Laucat et Mickael Ménager d’Imagine ont obtenu un financement Flash de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). D’une part cette signature permettrait d’anticiper l’évolution de la maladie, d’autre part, elle ouvre aussi la voie à des pistes thérapeutiques.

Publié le 17.04.2020

Accélérer la recherche

Frederic Rieux Leucat & Mick Ménager

Alors que la plupart des personnes atteintes de COVID-19 ne développent qu'une maladie légère ou avec peu de complications, environ 15 % souffrent d’une forme grave qui nécessite une hospitalisation et un apport en oxygène, et 5 % doivent être admis dans une unité de soins intensifs. D’où vient cette différence ? La réponse se trouve très certainement au cœur de nos cellules, parmi les réponses immunitaires mises en jeu pour lutter contre l’infection au virus SRAS-CoV2, responsable du COVID-19. En l'absence de thérapie ou de vaccin antiviral efficace, il est plus que jamais nécessaire de comprendre les mécanismes physiopathologiques conduisant aux syndromes respiratoires aigus (SDRA) et ce, afin de pouvoir :

  • trouver une signature permettant d’identifier les patients à haut risque
  • proposer des thérapies efficaces pour contrôler ces formes graves de COVID-19, et réduire le nombre de patients admis en unités de soins intensifs.

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D’où vient la tempête de cytokines chez les patients ayant des formes sévères

L’état des patients atteints de COVID-19 semble se détériorer soudainement, entre le 9e et le 12e jour après l'apparition des premiers symptômes, suite à un emballement du système immunitaire. « Un nombre croissant d’indications montre que cette aggravation est provoquée par une tempête de cytokines », explique Frédéric Rieux-Laucat, directeur du laboratoire Inserm d’immunogénétique des maladies auto-immunes pédiatriques. Or, ces petites molécules sont bien connues des immunologistes puisqu’elles régulent l’activité du système immunitaire et induisent l’inflammation des tissus. « L’infection par le virus SARS-CoV-2 entraîne une surproduction de plusieurs cytokines comme les interleukines 1 et 6 et les interférons de type 1 essentiellement. Cet emballement du système immunitaire entraînerait une hyper-inflammation pouvant causer le décès des patients. » enchaîne Mickael Ménager.

 

Le single-cell : plongée au cœur des gènes pour mieux comprendre

 « Avec l’analyse par cellule unique, nous changeons d’échelle » décrit Mickael Ménager, qui finalise l’installation à Imagine d’une plateforme single-cell, dotée du 1er appareil – appelée le Connect – en Europe permettant de réaliser des librairies single-cell de façon automatisée, produit par 10X Genomics. C'est comme si jusqu'à présent les chercheurs avaient observé le corps humain avec un microscope qui faisait un zoom X10 et que maintenant ils disposaient d'un zoom x1000. En une seule fois, ils peuvent analyser l'expression de milliers de gènes sur plus de 10 000 cellules par individu. L’idée est donc d’aller regarder l’expression des gènes de l’immunité chez une centaine de patients présentant un COVID-19 modéré, puis de suivre leur évolution et de faire une nouvelle analyse chez les 5% qui vont développer un SDRA. La compagnie américaine 10X Genomics est d’ailleurs partenaire du projet COVID-19, en permettant l’installation d’un appareil dans un laboratoire de confinement de type L3 pour l’étude de cellules du sang de patients atteints de COVID-19.

En comparant avec des personnes non infectées, les chercheurs espèrent ainsi mettre au jour des signes avant-coureurs, une signature moléculaire, pour identifier les personnes les plus à risque de développer un syndrome respiratoire.

Ce n’est qu’une première étape de notre projet. Nous envisageons par ailleurs de décrypter les mécanismes conduisant à cette hyper inflammation, car c’est une ouverture vers des pistes thérapeutiques.  

Frédéric Rieux-Laucat

Comment la connaissance des maladies génétiques rares peut éclairer sur le COVID-19

Et ce d’autant plus que pour des spécialistes des déficits immunitaires comme Frédéric Rieux-Laucat, ces observations rappellent des maladies monogéniques au cours desquelles une production anormale de cytokines inflammatoires et une activation non régulée de certains globules blancs comme les monocytes/macrophages se produit au sein d’un orage de cytokines inflammatoires, pouvant conduire à une défaillance fatale de plusieurs organes, si aucun traitement n’est administré à temps.

Chez les enfants porteurs de mutations activatrices affectant des gènes impliqués dans la détection des ADNs intracytoplasmiques, comme le gène STING, une production anormale de cytokines inflammatoires comme l’interféron et l’IL6 s’accompagne d’atteinte pulmonaire semblable à celle de patients infectés par le SARS-CoV-2 ainsi que d’acrosyndromes sévères - pseudo-engelures des extrémités -, plus récemment observés chez certains patients Covid19. Chez les enfants atteints de déficits génétiques affectant la capacité des lymphocytes T à tuer une cellule infectée, une activation macrophagique et un orage cytokinique apparaissent suite à l’infection de virus normalement non pathologiques comme le virus Epstein-Barr (EBV). Enfin, chez l'adulte, un syndrome d’activation macrophagique est également observé suite à des infections virales.

Alors que les chimiothérapies agressives ont pendant longtemps été le traitement standard de ces syndromes d’activation macrophagique, les immunothérapies émergentes, ciblant la ou les voies des cytokines, ont récemment montré leur efficacité avec des effets secondaires limités. « Ces nouvelles perspectives plaident donc en faveur d’une identification précoce des patients atteints de COVID-19 chez lesquels une réaction excessive du système immunitaire peut avoir lieu et qui pourraient bénéficier d’une telle immunothérapie » déclare Frédéric Rieux-Laucat.

Les leçons tirées de la prise en charge clinique des patients atteints de maladies génétiques rares pourraient être importantes aujourd'hui pour les patients atteints de COVID-19. C’est une nouvelle preuve des liens étroits entre maladies génétiques rares et maladies plus fréquentes. Les recherches continuent pour établir d’autres liens avec des maladies du déficit immunitaire dans l’éventualité de découvrir d’autres pistes thérapeutiques exploitables pour les patients atteints de COVID-19. Un repositionnement de traitements déjà utilisés et connus pour d’autres pathologies est en effet une piste à privilégier face à l’urgence de la situation et aux besoins.