La génétique et l’immunologie des infections rares, un outil puissant pour comprendre les infections fréquentes

Dans une revue de la littérature publiée dans Cell, Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel expliquent comment l’étude génétique et immunologique d’infections rares chez quelques individus est un outil puissant pour décrypter les mécanismes infectieux de maladies beaucoup plus fréquentes en rapport avec les infections rares. Cette approche « du rare au fréquent » renverse l’approche traditionnelle de l’étude génétique et immunologique des maladies infectieuses. Elle a déjà permis de mieux comprendre les causes de la tuberculose et des formes graves du Covid-19 dans une proportion importante des cas. Elle pourrait s’appliquer à de nombreuses autres maladies infectieuses. Explications.

Publié le 18.08.2022

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L’air que nous respirons, les surfaces que nous touchons, les relations sociales que nous entretenons… Toutes ces interactions avec notre environnement nous exposent en permanence à une très grande variété d’agents infectieux. Face à eux, nous ne sommes pas tous égaux. Il existe en effet une très grande variabilité entre les individus dans la réponse à un même agent pathogène. Certains n’auront aucun symptôme, d’autres développeront une forme modérée, tandis que certains – typiquement moins de 1% des cas – développeront une forme très sévère.

Dans une revue de la littérature publiée dans Cell Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel, co-directeurs du laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses, à l’Institut Imagine et à l’université Rockefeller, reviennent sur l’origine génétique et immunologique de cette variabilité interindividuelle. En particulier, ils expliquent en quoi l’étude d’une poignée de patients ayant développé des maladies infectieuses sévères et rares peut apporter un éclairage inédit sur les mécanismes à l’œuvre dans des maladies infectieuses apparentées mais beaucoup plus fréquentes [1].

« C’est tout l’objet de cette revue, abonde Laurent Abel. Nous avons voulu l’illustrer avec deux exemples concrets : la tuberculose et le COVID-19 ». Ces deux maladies, l’une bactérienne, l’autre virale, n’ont pas été choisies par hasard. Ces dernières années, les équipes du laboratoire ont en effet pu identifier des causes génétiques et immunologiques pour ces deux maladies en s’appuyant sur des travaux précédents sur deux pathologies infectieuses aussi rares que sévères : le syndrome de susceptibilité mendélienne aux infections mycobactériennes (MSMD) dans le cas de la tuberculose ; et les formes sévères de la grippe dans le cas du Covid-19.

"Les patients MSMD présentent un risque accru de développer une infection aux mycobactéries, des bactéries très communes et totalement inoffensives pour la plupart des individus, mais qui, chez ces patients, peuvent engendrer des formes graves parfois mortelles".

" Notre laboratoire a procédé à une analyse génétique de ces cas très rares (1 personne sur 50 000 environ) et a pu identifier plusieurs défauts génétiques en cause dans ce syndrome tous reliés au circuit de l’interféron (IFN) de type II ou IFN-γ, en particulier un défaut récessif complet du gène TYK2 (dû à des mutations très rares sur les deux copies du gène)", explique Jean-Laurent Casanova.

La tuberculose étant elle aussi une infection mycobactérienne (causée par Mycobacterium tuberculosis) les chercheurs ont étudié les bases génétiques de cette maladie qui ne se développe que chez 10% des personnes exposées à la bactérie. Ils ont ainsi mis en évidence l’implication d’un variant beaucoup plus fréquent de ce même gène TYK2 dans la survenue de la maladie, toujours sur un mode récessif. « Environ 1% des cas de tuberculose chez les Européens s’expliquent par une homozygotie pour ce variant », précise-t-il [2]. Au niveau moléculaire, la présence de cette mutation bloque des voies de signalisation faisant intervenir l’interleukine 23 (IL-23) dont la finalité est de produire l’IFN-γ qui a une action anti-mycobactérienne.

De façon analogue, l’étude des pneumopathies sévères rares consécutives à une infection au virus de la grippe a permis un bond en avant dans la compréhension du Covid-19. En effet, avant la pandémie, les chercheurs avaient déjà pu mettre en évidence des défauts des gènes IRF7, TLR3, IRF9, et STAT1 dans ces grippes sévères.

« Tous ces variants altèrent la voie des interférons de type 1 (IFN-I), une première barrière contre les virus, ce qui explique la progression incontrôlée et anormale de l’infection pulmonaire", précise Laurent Abel

"Partant de ces connaissances obtenues par l’étude de quelques patients, notre équipe a pu montrer qu’environ 3% des formes sévères de COVID-19, surtout chez les sujets de moins de 60 ans, s’expliquent par des défauts génétiques dans plusieurs gènes de la voie des IFN-I [3] le défaut le plus fréquent étant celui du gène TLR7 expliquant à lui seul environ 1% des formes sévères chez l’homme (le gène TLR7 est situé sur le chromosome X) [4] ». Le même mécanisme affectant la voie des IFN-I était donc altéré dans les deux cas. Poursuivant l’analogie, les chercheurs ont également pu identifier une cause immunologique commune : la présence d’auto-anticorps dirigés contre les IFN-I et bloquant leur action antivirale. En poussant leurs investigations, les chercheurs ont ainsi pu imputer environ un quart des formes sévères de Covid-19 à ces auto-anticorps anti IFN-I [5,6]. De quoi adapter le dépistage et la prise en charge de ces patients à risque.

Avant toutes ces études, l’infectiologie ne disposait que de très peu d’informations relatives aux mécanismes moléculaires et cellulaires expliquant des infections communes. Avec cette nouvelle grille de lecture « du rare au fréquent », Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel proposent un renversement de l’approche traditionnelle de l’étude des causes des maladies infectieuses, fondée sur le postulat inexact d’une population homogène. A l’inverse, ils embrassent la diversité interindividuelle et proposent de partir de cas cliniques rares, de les décrire avec précision à l’échelle moléculaire et cellulaire, sur le plan génétique et immunologique, afin de mettre au jour des mécanismes pathogènes qui seront peut-être communs à des maladies apparentées mais plus fréquentes. Une approche mécanistique qui promet de nouvelles découvertes aussi passionnantes que pragmatiques, avec l’espoir d’identifier des cibles thérapeutiques qui puissent être exploitées au bénéficie du plus grand nombre.

[1] J.L. Casanova & L. Abel, Cell, 2022.

[2] Boisson-Dupuis et al, Science Immunology, 2018 ; G. Kerner et al., PNAS, 116, 10430-10434, 2019.

[3] Inborn errors of type I IFN immunity in patients with life-threatening COVID-19, Q. Zhang et al., Science, 24 septembre 2020.

[4] X-linked recessive TLR7 deficiency in 1% of men under 60 years with life-threatening COVID-19, T. Asano et al, Science Immunology, 2021.

[5] Bastard, P et al. (2020). Autoantibodies against type I IFNs in patients with life-threatening COVID-19. Science 370, eabd4585

[6] Autoantibodies neutralizing type I IFNs are present in ~ 4% of uninfected individuals over 70 years and account for ~ 20% of COVID-19 deaths, P. Bastard et al., Science Immunology, 2021.

Selon l’OMS, la tuberculose est la treizième cause de mortalité dans le monde et la première cause infectieuse (hors pandémie COVID-19). Elle a ainsi tué 1,5 millions de personnes dans le monde en 2020. Elle est due à Mycobacterium tuberculosis, un agent infectieux de la famille des mycobactéries qui, pour la plupart, sont peut virulentes. Elle est particulièrement présente en Inde, en Asie, au Moyen Orient et en Afrique du Sud. Dans une étude publiée en 2018, l’équipe de Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel ont identifié un défaut génétique du gène TYK2 expliquant 1% des cas de tuberculose en Europe [2].