Les auto-anticorps contre les interferons, ou pourquoi certains virus nous affectent différemment

Dans leur dernière publication (Journal of Experimental Medicine), 3 chercheurs de l’équipe « Génétique Humaine des maladies infectieuses » de l’Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université Paris Cité) ont montré que le développement de l’encéphalite suite à infection par le virus du Nil occidental, s’expliquent chez environ 40% des patients par la présence d’auto-anticorps contre les Interferons de type I, dirigés contre les propres défenses du système immunitaire.

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Ces dernières années, l’équipe de Jean-Laurent Casanova, à l’Institut Imagine et au Rockfeller University, s’est efforcée de comprendre pourquoi nous sommes inégaux dans notre réponse et dans nos symptômes face au SARS-CoV-2 (à l’origine de la COVID-19) et au virus du la grippe. Ces deux maladies ont en commun le fait d’être déclenchées par une infection virale, qui cause notamment une fièvre et une pneumonie plus ou moins graves chez les patients infectés.

Comme l’a illustré la pandémie de COVID-19, certaines personnes seront totalement exemptes de symptômes, alors que d’autres vont déclencher une fièvre et/ou une pneumonie nécessitant une hospitalisation. Chez 15% des cas sévères de COVID-19, et chez 5% des grippes sévères, l’équipe a montré la présence d’anticorps très spécifiques, dit « auto-anticorps », capables de neutraliser la réponse immunitaire de l’organisme face au virus. Ces auto-anticorps vont en effet se fixer à l’interféron de type I (IFN-I), une molécule produite par le corps humain pour activer la réponse immunitaire antivirale, et ainsi neutraliser son action. Par conséquent, le niveau de la réponse immunitaire est réduit, ce qui permet la progression de l’infection virale.

Dans l’une de leurs dernières publications, l’équipe s’est intéressée à une autre infection virale due au virus du Nil occidental (ou West Nile Virus, WNV), transmis par les moustiques. La majorité des individus infectés ne développent pas ou très peu de symptômes, et moins d’1% des personnes infectées vont développer une forme sévère nécessitant une hospitalisation. En collaboration avec notamment l’équipe de Alessandro Borghesi du San Mateo Research Hospital de Pavia, l’équipe de Jean-Laurent Casanova a étudié des patients de l’Union Européenne et des Etats-Unis. Ils ont montré que les auto-anticorps neutralisant l'interferon étaient détectés chez environ 35% des patients hospitalisés pour des formes graves de la maladie. Plus frappant encore, chez les patients souffrant d’encéphalite (une inflammation du cerveau en lien direct avec l’infection virale), la forme plus sévère de l’infection par le virus de Nil, les auto-anticorps sont encore plus fréquemment détectés : ils sont retrouvés chez 40% de ces patients. Ces auto-anticorps ont même été identifiés dans le liquide céphalo-rachidien d’une majorité de patients atteints d’encéphalites, suggérant leur implication dans les atteintes neurologiques de la maladie. A l’inverse, les individus asymptomatiques face à cette infection ont des niveaux d’auto-anticorps extrêmement bas, comparables aux niveaux présents chez la population générale.

Ces découvertes ont des implications majeures en termes de santé publique. Comme le virus du Nil est présent dans la quasi-totalité des pays du monde, et plus particulièrement dans certaines zones comme certains pays d’Afrique ou en Italie, il pourrait être envisagé de tester préventivement les personnes se rendant dans une zone particulièrement risquée, notamment si elles présentent des facteurs de risques associés à la présence des auto-anticorps (par exemple les personnes âgées, ou atteintes d’une maladie auto-immune). De plus, la mise en place de traitements curatifs, en particulier par un interféron qui n’est pas ou peu neutralisé par les auto-anticorps, a déjà montré ses bénéfices chez des formes sévères de COVID-19 et pourrait être utilisé pour les malades infectés par le virus du Nil.

Les causes aboutissant à l’apparition de ces auto-anticorps ne sont pas encore bien connues. De plus, la présence d’auto-anticorps augmentant le risque d’une réponse sévère à une infection virale face à plusieurs types de virus. Il est possible que ce mécanisme soit observable pour bien d’autres infections virales, en particulier des infections sévères par au moins une centaine d’autres Arbovirus, une famille de virus émergents dont fait partie le virus du Nil occidental et qui sont déjà retrouvé partout à travers le monde. Autant de questions qui restent à être explorées par les équipes de recherche.