Quand des mutations génétiques guérissent...

En génétique, mutation est souvent synonyme de maladie. En effet l’endommagement de l’ADN au cœur de nos cellules peut donner lieu à une cellule défaillante et ainsi être le point de départ d’une maladie génétique ou d’un cancer. Il existe toutefois des mutations bénéfiques, voire presque guérisseuses. C’est sur cet aspect méconnu de la génétique que porte la revue publiée dans le prestigieux Nature Reviews Genetics par Alain Fischer*, Caroline Kannengiesser* et Patrick Revy. Le point sur cette nouvelle fonction des mutations avec Patrick Revy, co-responsable du laboratoire Inserm Dynamique du génome et système immunitaire à Imagine.

Publié le 17.09.2019

Accélérer la recherche

Qu’est-ce qu’une mutation ? Et quelles en sont les conséquences au niveau de l’organisme ?

Patrick Revy
Patrick Revy © Institut Imagine

Patrick Revy : Des dommages apparaissent régulièrement dans l’ADN contenu dans nos cellules, suite à l’exposition à une substance dangereuse – produits chimiques, UV etc. – voire spontanément. Il existe de nombreux systèmes de réparation chargés d’éliminer ces modifications de séquence. Toutefois, il arrive que celles-ci demeurent dans les cellules, on parle alors de mutations.

 

Des études récentes démontrent que des mutations spontanées apparaissent dans nos cellules tout au long de notre vie et que celles-ci s'accumulent avec l’âge. La plupart sont sans conséquence (neutres) mais certaines peuvent entraîner des modifications du comportement cellulaire. C’est ce qui permet au fil des générations l’évolution des organismes. Certaines peuvent en revanche altérer la fonction des cellules. Il s’en suit l’essor de cellules qui ne remplissent plus leur fonction, ce qui perturbe le bon fonctionnement d’un organe par exemple, ou de cellules incontrôlables comme dans les cancers.

Ces mutations sont-elles toujours associées à un effet négatif ?

PR : Pendant longtemps, ces mutations ont été associées aux cancers, aux maladies génétiques, et au vieillissement. Cependant, depuis peu, des recherches ont mis en évidence le caractère parfois bénéfique de ces mutations. L’exemple le plus étayé concerne des maladies génétiques héréditaires touchant le système hématopoïétique (dues à une mutation dans un gène).

Avant de devenir globules rouges, globules blancs ou plaquettes, les cellules passent par toute une série d’étapes de différenciation et maturation à partir de cellules souches hématopoïétiques et de cellules progénitrices. Chaque année, en moyenne 14 mutations apparaissent dans ces cellules, mères de toutes les cellules spécialisées présentes dans le sang.

Lorsqu’une mutation spontanée conférant à la cellule un avantage survient, par exemple par rapport à des cellules déficientes, elle peut en quelque sorte prendre le dessus. C’est ce qui s’est produit chez un patient atteint d’un déficit immunitaire sévère en 1994 : alors qu’il ne produisait aucun lymphocyte T depuis la naissance, une mutation spontanée a restauré leur production. Depuis, d’autres exemples sont venus confirmer ce cas isolé. Mais, jusqu’à présent, on pensait que c’était un phénomène extrêmement rare et ne concernant que très peu de gènes. L’essor des techniques de séquençage montre que ce phénomène n’est pas si anecdotique et peut prendre différentes formes.

Que sait-on sur ces mutations bénéfiques ?

PR : Elles peuvent être de nature très diverses : certaines corrigent la mutation d’origine, d’autres entraînent la disparition du fragment d’ADN concerné, parfois elles restaurent indirectement le mécanisme défectueux.

Par ailleurs, ces mutations n’entraînent pas systématiquement le remplacement de toutes les cellules pathogènes. Parfois, elles donnent lieu à une mosaïque de cellules, certaines saines, d’autres défaillantes, avec dans certains cas, une atténuation des symptômes.

Elles sont principalement décrites dans les maladies hématopoïétiques dues à des mutations germinales donc présentes dans toutes les cellules. Des mutations correctrices au niveau cellulaire ont été répertoriées dans 33 pathologies hématologiques héréditaires. Bien que ces maladies semblent particulièrement appropriées en raison du fort taux de renouvellement des cellules hématopoïétiques, ce mécanisme a aussi été mis en évidence dans d’autres tissus contenant des stocks de cellules souches, notamment dans des maladies de la peau et la dystrophie musculaire de Duchenne.

Quelles perspectives cliniques ouvrent ces découvertes ?

PR : Elles ouvrent des pistes pour de nouvelles formes de thérapies géniques, mais aussi pour de nouvelles stratégies thérapeutiques basées sur la réparation des dommages, soit ex vivo dans les lymphocytes T par exemple, soit in vivo en utilisant CRISPR/Cas9.

Le développement de techniques d’analyse à l’échelle de la cellule unique devrait dans les années à venir voir émerger d’autres maladies concernées par ces mécanismes "d’auto-réparation", mais aussi de nouveaux outils pour corriger ces défauts chez les patients.

*Alain Fischer est médecin, professeur d'immunologie pédiatrique, professeur au Collège de France, ancien directeur d’Imagine.

Caroline Kannengiesserest pharmacienne, laboratoire de génétique, hôpital Bichat, AP-HP, Paris. Université Paris-Diderot.