Syndrome de Shwachman-Diamond : des mutations compensent les anomalies de maturation des ribosomes

Certaines mutations qui apparaissent spontanément au cours de la vie d’un individu peuvent contrecarrer les effets de maladies génétiques. Pour Patrick Revy, co-directeur du laboratoire « Dynamique du Génome et Système Immunitaire » à l’Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université de Paris), ces mutations somatiques dites compensatrices sont plus courantes qu’on ne le pense. Dans une étude publiée récemment dans Nature Communications, son équipe a identifié ce type de mutations dans le cadre du syndrome de Shwachman-Diamond , une maladie génétique menant notamment à un déficit de certains globules blancs, et en a précisé les effets au niveau moléculaire.

Publié le 17.09.2021

Accélérer la recherche

Tout au long de notre vie, notre ADN fait l’objet de modifications spontanées appelées « mutations somatiques ». Concrètement, les séquences de lettres (A, T, C et G) – ou nucléotides – qui définissent notre code génétique sont modifiées. La plupart du temps, ces changements sont sans effet notable sur l’organisme. Dans certains cas, ils peuvent affecter le fonctionnement de nos cellules ou même mener à l’apparition de cancers. À l’inverse, il arrive que ces mutations soient bénéfiques.

Dans une revue de la littérature publiée en 2019 dans Nature Reviews Genetics, Patrick Revy, co-directeur du laboratoire « Dynamique du Génome et Système Immunitaire », à l’Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université de Paris), Pr. Caroline Kannengiesser (*) et Pr. Alain Fischer (**), avaient ainsi répertorié et synthétisé 30 cas cliniques pour lesquels des mutations somatiques avaient pu compenser en partie les effets néfastes de maladies génétiques héréditaires du sang [1].« Cela n’était que la partie émergée de l’iceberg. Depuis, il y a eu un nombre incroyable d’exemples supplémentaires de mutations somatiques compensatrices impliquant de nouveaux gènes dans de nouvelles pathologies », indique Patrick Revy.

Un subtil équilibre entre deux protéines 

Dans une nouvelle étude parue dans la revue Nature Communications, son équipe, en collaboration avec les plateformes de bio-informatique et de génomique de l’Institut Imagine, ainsi qu'avec un collègue britannique, le Pr. Alan Warren (Cambridge, Grande-Bretagne), ont formellement identifié de telles mutations génétiques compensatrices dans le cadre d’une pathologie héréditaire appelée « syndrome de Shwachman-Diamond » et en ont précisé le mécanisme moléculaire [2].

Ce syndrome peut notamment affecter le pancréas, les os, ou encore le système sanguin. Dans ce dernier cas, les patients présentent un déficit d’une famille de globules blancs appelées « neutrophiles », augmentant de fait le risque d’infection. Ce syndrome est causé par une anomalie dans la maturation des ribosomes (les grosses molécules assurant la synthèse des protéines). Cette maturation consiste en l’association de deux complexes protéiques : les sous-unités 40S et 60S. Ce processus est régulé par l’action conjuguée de deux protéines : eIF6 et SBDS. La première empêche toute association en bloquant le site de liaison des deux sous-unités ribosomiques. De la même façon qu’il est impossible de s’amarrer à un ponton déjà occupé par un bateau, la sous-unité 40S ne peut pas s’arrimer à la sous-unité 60S. Or, la seconde protéine permet de lever ce blocage en délogeant la protéine eIF6 du site de liaison. La bonne maturation des ribosomes dépend donc de l’équilibre entre ces deux protéines.

Traquer les mutations somatiques compensatrices avec le séquençage profond 

Or, dans le syndrome de Shwachman-Diamond, cet équilibre est rompu. « Les deux copies du gène SBDS (chromosome 16) sont mutées, aboutissant à un déficit de production des protéines du même nom, explique Patrick Revy. De ce fait, la proportion relative de SBDS diminue en faveur de eIF6, ce qui entrave la maturation des ribosomes ». Cette anomalie entraîne notamment un déséquilibre dans la composition cellulaire du sang, avec un déficit de neutrophiles. Une précédente étude avait toutefois montré que, chez de rares patients, cette composition se rééquilibrait spontanément au cours du temps. Les patients en question présentaient dans certaines de leur cellules sanguines une délétion (disparition d’une portion génétique) au niveau du chromosome 20, porteur de nombreux gènes dont le gène EIF6 [3]. Est-ce à dire que la délétion du gène EIF6 était la cause de ce relatif retour à la normale ? La réponse ne va pas de soi.

« En effet, la plus petite délétion recensée dans cette étude contenait 28 gènes en plus de EIF6 », prévient Patrick Revy. Soit autant de suspects à disculper. « Dans ces conditions, il était impossible de démontrer que la délétion du gène EIF6 procurait réellement un avantage sélectif dans le contexte du syndrome de Shwachman-Diamond». Les auteurs ont alors émis l'hypothèse que si les délétions d'EIF6 pouvaient effectivement conférer un avantage sélectif dans les cellules du sang, alors d'autres mutations pourraient également être détectées. Pour le vérifier, ils se sont procuré des échantillons de sang de 40 patients atteints de ce syndrome. Ils ont ensuite procédé à un séquençage profond qui leur a permis d’identifier plusieurs types de mutations du gène EIF6 : des délétions complètes du gène ; des « translocations réciproques », autrement-dit des « sauts » de séquences génétiques du chromosome 16 sur le chromosome 20 et inversement ; mais également des mutations ponctuelles – en l’occurrence des modifications d’un seul acide aminé. « Nous avons montré que certaines de ces mutations ponctuelles du gène EIF6 altèrent l’interaction entre la protéine eIF6 et l’une des sous-unités ribosomiques, précise le chercheur. De quoi compenser le déficit en protéines SBDS et rééquilibrer le processus de maturation des ribosomes ».

Des paramètres hématologiques qui reviennent à la normale

Afin de prouver le caractère avantageux de ces mutations, les chercheurs ont mené des tests sur des mouches drosophiles dans lesquelles ils ont reproduit le syndrome de Shwachman-Diamond en introduisant des mutations du gène SBDS qui les maintenaient à l’état de larves. Or, lorsque les chercheurs ont manipulé le génome de ces mouches pour y intégrer les mutations ponctuelles du gène EIF6 décrites plus haut, les drosophiles ont pu se développer normalement. Preuve que ces mutations sont bien compensatrices.

« Toutefois, chez les patients inclus dans notre étude, les bénéfices de cette mutation ne se manifestent pas de façon aussi évidente, détaille Patrick Revy. Cela s’explique sans doute par le fait que nous les analysons à un instant t. Pour détecter un effet significatif, par exemple sur la composition sanguine, il faudrait les suivre dans la durée, le temps que les cellules ayant spontanément acquis les mutations compensatrices puissent se propager. » À cet égard, les chercheurs ont réanalysé un échantillon de sang d’un patient Shwachman-Diamond étudié par un groupe de chercheurs hong-kongais [4]. Ces derniers avaient remarqué que les paramètres hématologiques de ce patient étaient tous revenus à la normale. En réanalysant son génome, l’équipe de Patrick Revy a mis en évidence la présence d’une mutation somatique compensatrice sur EIF6 dans quasiment toutes ses cellules sanguines. Cela signifie que l’avantage apporté par cette mutation était suffisant pour être sélectionné : sans guérir nécessairement le patient, elle a amélioré son état.  

[1] P. Revy et al., Nature Reviews Genetics, DOI: 10.1038/s41576-019-0139-x, 2019.

[2] S. Tan et al., Nature Communications, doi.org/10.1038/s41467-021-24999-5, 2021.

[3] R.Valli et al.,British journal of haematology 184, 974-981; 2019.

[4] A.L. Koh et al., Am. J. Med. Genet., A 182, 2010-2020, 2020.

(*) AP-HP, Département de Génétique de l’Hôpital Bichat, Université Paris Diderot

(**) Institut Imagine, Inserm, Collège de France, Unité d’immunologie, hématologie et rhumatologie pédiatrique, à l’hôpital Necker-Enfants malade AP-HP