Annarita Miccio : La thérapie génique comme fil conducteur

Annarita Miccio est lauréate d’un des prestigieux financements « ERC consolidator Grant » du conseil Européen de la Recherche. Un coup de pouce pour cette chercheuse qui développe les thérapies géniques de demain.

Publié le 12.12.2019

Accélérer la recherche

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Comment aider les patients sans être médecin ? C’est cette réflexion qui a jalonné le parcours d’Annarita Miccio. Après son baccalauréat, elle rejoint une filière nouvellement créée à Naples sur les biotechnologies médicales et c’est là, en 1999, qu’elle entend parler pour la première fois de thérapie génique. On est au tout début de ce nouveau traitement, porteur d’espoirs puisqu’il consiste à réparer les gènes défectueux afin d’éradiquer la maladie. Les premiers essais qui ont démontré son efficacité, en l’occurrence pour traiter un déficit immunitaire, ont en effet été effectués en 1999 à l’hôpital Necker-Enfants malades par le Pr Alain Fischer, professeur au collège de France et premier directeur d’imagine de 2012 à 2016. Le sort en est jeté : Annarita Miccio va se consacrer à l’étude de la thérapie génique. Or pour le responsable du laboratoire où elle est en stage à Naples, cette approche n’a pas d’avenir. Elle décide alors d’aller faire sa thèse dans un des deux laboratoires en pointe dans ce domaine en Europe, à Milan.

Malgré leur succès, les 1ers essais réalisés à Paris, l’autre laboratoire leader dans ce domaine, avaient mis au jour un risque : si le véhicule chargé d’introduire le gène normal dans la cellule s’insère au « mauvais endroits » du génome, il peut allumer d’autres gènes aux pouvoirs pathogènes comme des gènes qui accélèrent le risque de cancer.

Equipe Annarita Miccio
© Laurent Attias

Trouver le bon véhicule pour introduire le bon gène

Annarita Miccio va donc s’atteler à mettre au point un autre vecteur pour transporter le gène au cœur des cellules, un lentivirus, un virus de la famille du VIH. « Les virus infectent les cellules. Ce sont donc des candidats idéals pour apporter une copie fonctionnelle d’un gène dans une cellule, explique Anarita Miccio. Une fois débarrassés de leur pouvoir pathogène, les lentivirus s’intègrent assez facilement dans l’ADN d’une cellule. »

En ce qui concerne la pathologie, la chercheuse s’est focalisée sur une maladie génétique de l’hémoglobine à l’incidence élevée dans les pays méditerranéens : la bêta-thalassémie. « Cette maladie se caractérise par un défaut d'expression de la globine-β, l’un des composants essentiels de l'hémoglobine, » rappelle-t-elle. Au bout de 6 ans d’étude, en 2008, les tests précliniques sont concluants et il est désormais possible de tester ce lentivirus chez des patients. Depuis, en 10 ans, 10 patients ont ainsi pu être traités par cette approche.

Pendant ce temps, Annarita Miccio avait déjà volé vers d’autres challenges et rejoint une équipe de recherche fondamentale à Philadelphie pour étudier comment les gènes, et tout particulièrement la globine, s’expriment dans la cellule. « J’avais fait le tour des possibilités avec le lentivirus, se remémore la chercheuse. L’étude des mécanismes fondamentaux de ces cellules sanguines m’a permis d’entrevoir une manière de guérir les pathologies dues à un défaut de globine, la bêta-thalassémie bien sûr, mais aussi la drépanocytose. »

Penser la thérapie génique autrement

Tout est parti de l’observation déjà ancienne de plusieurs cas de patients porteurs de l’altération génétique à l’origine de ces deux maladies mais ne développant pas la maladie. La raison est simple : suite à une autre altération génétique, ils continuent à produire de l'hémoglobine fœtale, la globine-γ, censée ne s’exprimer qu'au cours du développement fœtal. La plupart des patients souffrant de β-hémoglobinopathies disposent d'une forme non altérée du gène codant pour cette protéine. L’idée d’Annarita Miccio – et d’autres chercheurs dans le monde – consiste à réactiver chez les patients thalassémiques et drépanocytaires la globine-γ pour compenser l’absence de la globine-β mutée.

Depuis, la chercheuse a rejoint l’Institut Imagine pour créer sa propre équipe de recherche, "Chromatine et régulation génique au cours du développement", labélisée équipe émergente de l’Université de Paris. « C’est l’endroit idéal pour développer des projets associant médecins et chercheurs. Aucun autre lieu ne m’aurait permis d’avancer aussi vite dans mes recherches et surtout leur application au profit des patients. La plupart des médecins présents à Imagine sont aussi des scientifiques, ce qui facilite le dialogue avec eux, » décrit Annarita Miccio.

Depuis son arrivée à Imagine, elle a montré que les séquences génétiques responsables du blocage de l'expression de la globine-γ peuvent être modifiées, notamment une séquence d’ADN qui freine la production de globine γ après la phase de développement fœtal. Sa suppression, à l’aide des « ciseaux génétiques » CRISPR/Cas9, réactive la synthèse de globine-γ à des taux suffisants pour être envisagés à l'avenir en protocole thérapeutique. « A ce stade, les essais cliniques avec CRISPR/Cas9 n’en sont qu’à leur début et on ne sait pas encore s’ils seront aussi efficaces qu’en laboratoire, souligne la chercheuse. Mais j’espère très prochainement pouvoir traiter les premiers patients. »

Et pour y arriver, la subvention de l’ERC sera un formidable coup de pouce qui va lui permettre de recruter de nouvelles personnes. Parallèlement, elle envisage aussi de « creuser » une toute nouvelle approche thérapeutique, le Base Editing. « Les ciseaux génétiques nécessitent de casser l’ADN pour le réparer ensuite et créer une cassure dans l’ADN notamment des cellules souches n’est pas totalement anodin, précise Annarita Miccio. Avec le base Editing, il est possible de modifier une base – une des lettres qui composent le code génétique – de l’ADN sans le casser. Or, nombre de maladies génétiques résultent d’une « simple » erreur dans une base de l’ADN. » Encore une fois, la jeune cheffe d’équipe a le regard tourné vers l’avenir, et ce temps d’avance est précieux pour les jeunes patients atteints de maladie génétique en attente de traitement.

En 2021, Annarita Miccio est lauréate du Prix de nouveau chercheur exceptionnel de l'ASGCT, la Société Américaine de Thérapie Génique et Cellulaire, pour ses travaux et réalisations dans le domaine de la thérapie génique, et notamment des hémoglobinopathies.