Découverte de l’origine d’une nouvelle maladie rare de l’œil et conséquence pour la prise en charge des enfants malvoyants

Connaître à l’avance l’évolution d’une maladie, c’est la garantie d’une prise en charge optimale des patients. L’équipe de Jean-Michel Rozet vient d’identifier des mutations dans le gène RIMS2 comme étant à l’origine d’un syndrome qui altère non seulement la vision, mais aussi le développement neurologique et l'homéostasie du glucose, ce qui n’était pas connu jusqu’à présent.

Publié le 23.06.2020

Accélérer la recherche

Face à une maladie rare, il est parfois difficile de poser un diagnostic précis, et cela d’autant plus chez les très jeunes patients, voire les nourrissons.

De l’importance de faire le bon diagnostic…

Les maladies de la transmission de l’information visuelle des photorécepteurs de la rétine vers les neurones du nerf optique  sont connues sous le nom de cécité nocturne stationnaire congénitale. Ce nom fait référence à la forme typique de la maladie qui se manifeste dès la naissance par une malvoyance, voire une cécité totale, à la pénombre qui n’évolue pas dans le temps.

Il existe des formes atypiques regroupées sous le nom de cécités nocturnes stationnaires congénitales incomplètes, dans lesquelles le défaut de transmission visuelle se traduit par des troubles de la vision diurne, avec ou sans perturbation de la vision nocturne. Ces dernières formes se traduisent à la naissance par une phobie de la lumière (photophobie) et un nystagmus (mouvement d'oscillation involontaire et saccadé du globe oculaire) témoignant d’un défaut de la rétine centrale. Elles sont extrêmement rares et souvent confondues avec une autre maladie de la rétine, plus fréquente et bien mieux connue des ophtalmologistes, l’amaurose congénitale de Leber, dont les manifestations visuelles sont identiques à la naissance.

Une même présentation initiale mais une évolution très différente, puisque l’amaurose congénitale de Leber, de même que les autres malvoyances sévères et précoces qui lui sont apparentées, sont des affections évolutives avec mort progressive des cellules photosensibles de la rétine. De plus, il n’est pas rare que des troubles neurologiques, rénaux, osseux, hépatiques, etc. viennent se surajouter.

L’électrorétinogramme est un examen clé du diagnostic différentiel. Mais il est difficile à pratiquer chez le tout petit, qui doit faire l’objet d’une anesthésie générale au préalable. Il n’est pas rare que sans cet examen, ou devant des tracés incertains, le diagnostic d’amaurose congénitale de Leber soit donné par défaut, laissant planer le spectre d’une aggravation de la malvoyance et d’atteintes extraoculaires pouvant engager à terme le pronostic vital du malade. L’identification de l’origine génétique de la malvoyance chez un nourrisson est aujourd’hui l’un des moyens les plus sûrs pour distinguer ces deux pathologies et rassurer les parents sur l’évolution de la maladie de leur enfant pour ceux qui s’avèreront atteints d’une cécité nocturne stationnaire incomplète, ou mettre en place un suivi des fonctions oculaires, voire extraoculaires, pour les autres.

Grâce à une analyse génomique et avec la collaboration de l’équipe d’Elfride De Baere du Centre de génétique médicale et du département de médecine moléculaire de l’université de Ghent en Belgique, Isabelle Perrault, chercheuse en charge du décryptage génétique des ces affections dans l’équipe de Jean-Michel Rozet, a pu mettre en évidence une perte de fonction du gène RIMS2 dans quatre familles non apparentées d'origine sénégalaise, française et saoudienne, adressées en consultation de génétique pour une amaurose congénitale de Leber.

Equipe_JMRozet

…pour mieux comprendre l’évolution de la maladie

« Or, bien qu’aucune mutation de ce gène n’ait été rapportée auparavant, nous savions que RIMS2 code une protéine importante pour la transmission synaptique du signal visuel par les photorécepteurs, laissant entrevoir un diagnostic de cécité nocturne congénitale incomplète au lieu de celui initialement posé d’amaurose congénitale de Leber dans ces familles », détaille Isabelle Perrault. Cette hypothèse se confirmera chez tous les patients réexaminés, avec la mise en évidence de tracés électrorétinographiques évocateurs et une absence de perte des cellules photoréceptrices, même à l’âge adulte.

En collaboration avec Isabelle Audo et Christina Zeitz à l’institut de la Vision à Paris, d’autres mutations dans le gène RIMS2 ont été identifiées dans des cas de cécité nocturne congénitale avérés, confirmant l’implication de ce gène dans cette maladie.

Ainsi, le fait que pour les patients, le diagnostic d’amaurose de Leber soit corrigé en cécité nocturne congénitale représente une bonne nouvelle. Mais, s’il est vrai qu’un tel redressement diagnostic permettait jusqu’à présent de rassurer les parents de jeunes enfants quand à l’absence d’atteintes extra-oculaires, le cas RIMS2 a remis en question cette certitude.

En effet, en plus d’être important pour les photorécepteurs, Isabelle Perrault et Elfride de Baere ont montré que chez l’homme, RIMS2 est exprimé dans les cellules de Purkinje (cerveau) et les cellules du pancréas impliqués dans la sécrétion d’insuline. C’est pourquoi un examen neurologique et un bilan métabolique ont été demandés et ont révélé des troubles autistiques chez tous les patients examinés, et une anomalie de l'homéostasie du glucose, indiquant une atteinte au niveau du pancréas, chez la plus âgée des patientes.

La description de cette nouvelle maladie et l’identification du gène en cause modifient durablement la prise en charge des cécités nocturnes congénitales incomplètes les plus précoces, qui ne doivent plus être considérées comme des maladies toujours purement rétiniennes. La découverte d’atteintes neurologiques et pancréatiques dans certaines formes, même très rares, doivent inviter à la plus grande prudence lorsqu’il est question d’évoquer le pronostic extra-oculaire chez un enfant pour lequel le diagnostic de cécité nocturne congénitale incomplète est évoqué.

 

A noter que Sabrina Méchaussier, étudiante en 3ème année de thèse dans  le laboratoire de Jean-Michel Rozet, et 1er auteure de cette publication, a obtenu le prix du meilleur poster de l'European Society of Human Genetics 2020, dans la catégorie recherche clinique.

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