Eclairage sur une maladie neurodégénérative le plus souvent d’origine inconnue

Décrypter les maladies génétiques constitue un pas de géant vers la mise au point des traitements. Le laboratoire Génétique des troubles du neurodéveloppement vient de mettre au jour que les mutations du gène MINPP1 sont à l’origine d’hypoplasies pontocérébelleuses, des maladies neurodégénératives graves du jeune enfant. Explication avec Vincent Cantagrel, directeur de ce laboratoire.

Publié le 02.12.2020

Accélérer la recherche

Vous venez de démontrer l'implication du gène MINPP1 dans l'apparition d'une maladie neurodégénérative, quelles sont les caractéristiques de cette maladie ?

Vincent Cantagrel

Vincent Cantagrel : Cette maladie, appelée hypoplasie pontocérébelleuse, appartient à un groupe de troubles neurologiques très rares mais extrêmement graves. Les enfants atteints présentent des signes de neurodégénérescence survenant si précocement que développement du cerveau est touché, et plus particulièrement sa partie postérieure, le cervelet. Le développement cognitif et moteur de ces enfants est très affecté et la plupart d'entre eux meurent pendant l'enfance. Malheureusement, il n'existe pas de traitement et pour plus d'un tiers des enfants atteints, la cause génétique de la maladie n'est pas connue.

Nous avons constaté que certains enfants pour lesquels il n’y avait pas de diagnostic génétique présentaient des mutations rendant inactif un gène appelé MINPP1.

 

Comment ce gène agit-il au niveau des neurones ?

V. C. : Le produit du gène MINPP1 est responsable de la dégradation de l'acide phytique, une substance très connue chez les plantes. Dans les graines, cet acide est utilisé comme réserve pour le phosphore et les ions métalliques tels que le magnésium, le fer et le calcium. Cependant, le rôle de cet acide dans les cellules humaines et pendant le développement du cerveau était totalement inconnu.

Pour comprendre le rôle de l’acide phytique et du gène MINPP1 dans les cellules neuronales, nous avons utilisé des cellules de peau de patients déficients pour le gène MINPP1 que nous avons « converties » en cellules souches puis transformées en neurones. Cela nous a permis de « mimer » le développement neurologique et la naissance des neurones. L'analyse du contenu de ces cellules a révélé une forte accumulation, jamais observée, d'acide phytique. De façon surprenante, nous avons également observé que les cellules des patients étaient très lentes à se transformer en neurones et qu'elles meurent souvent au cours du processus.

L'accumulation de l’acide phytique semble donc toxique pour ces cellules et MINPP1 jouerait un rôle essentiel dans la prévention de cette toxicité pendant la genèse des neurones. Comment cet acide agit-il sur les cellules et le cerveau au point d’être toxique demeure un mystère.

 

Quelle est la fonction de ce mécanisme dans le cerveau ? Et dans l'organisme ?

V. C. : Nous avons étudié des cellules reproduisant la mutation de MINPP1 des patients pour comprendre les conséquences de l'accumulation de l'acide phytique. Comme ce composé est connu pour se lier aux ions métalliques, nous avons étudié si ces ions pouvaient être affectés dans les cellules mutantes. Nous avons été surpris de constater une forte perturbation du fer ou du calcium suite à cette accumulation toxique. Nos résultats montrent que l'acide phytique, dans les cellules des patients, agit comme un "aimant" qui récupère le fer et le calcium disponibles et empêche leur utilisation par les cellules. On sait que le calcium joue un rôle clé dans la différenciation des neurones. Un manque de calcium est donc très délétère pour ces cellules et ce phénomène expliquerait la dégénérescence qui se produit dans le cerveau.

 

Quels patients pourraient bénéficier de ces recherches et comment ?

V. C. : C’est la première fois que cette défaillance est mise en évidence. Nous pouvons donc désormais identifier plus rapidement les patients présentant des mutations dans le gène MINPP1 et leur fournir un diagnostic moléculaire. En ce qui concerne les traitements, nous savons maintenant que si l’on compense l'accumulation toxique de ce composé, la maladie peut être enrayée. Bien qu'il n'existe pas de solutions thérapeutiques évidentes, c'est un point de départ pour en trouver.

 

Avec qui avez-vous collaboré pour ces recherches ?

V. C. : La neuroradiologue, le Pr Nathalie Boddaert qui dirige également un laboratoire de recherche à Imagine, a joué un rôle clé au début de l'étude, alors qu'il était encore difficile de considérer ce gène comme un bon candidat pour la maladie. Elle a comparé les images d’IRM du cerveau des patients et a identifié une image qui n'est habituellement pas observé dans ce type de maladie et visible uniquement chez les patients avec une mutation MINPP1. Les mutations MINPP1 provoqueraient donc un syndrome spécifique pouvant être reconnu par imagerie cérébrale.

Ce travail a été possible grâce à l'implication d'un spécialiste de l’acide phytique et de sa biosynthèse, le Pr Adolfo Saiardi de l’University College London. Plusieurs autres équipes ont participé, notamment des cliniciens qui ont identifié d'autres patients. C’est formidable de voir que la grande majorité des travaux expérimentaux ont été possibles grâce aux personnes du laboratoire, principalement Ekin Ucuncu, doctorante et Karthi Rajamani, chercheuse post-doctorante, ainsi qu'aux nombreuses plateformes d'Imagine.

 

Quelle sont les prochaines étapes ?

V. C. : Les lésions cérébrales des patients porteur d’une mutation de MINPP1 présentent certaines similitudes avec d'autres troubles neurodégénératifs avec accumulation de métaux dans le cerveau. Le lien avec ces autres maladies pourrait être intéressant à étudier. L’étude d’un modèle de souris, qui vient d’être développé, pourrait, quant à lui, permettre de mieux comprendre comment le développement du cerveau est altéré.

 

Publication

MINPP1 prevents intracellular accumulation of the chelator inositol hexakisphosphate and is mutated in Pontocerebellar Hypoplasia

Ekin Ucuncu et al.

Nature communications