Les cellules de Cajal-Retzius au cœur du développement cérébral durant l’embryogénèse

Le développement du cortex cérébral, couche superficielle du cerveau, dépend de multiples étapes coordonnées, dont la migration correcte des neurones. Un type de cellule très précoce, les cellules de Cajal-Retzius (CR), joue un rôle central dans ce processus, notamment via la production d’une protéine appelée Reelin (Reln). Cette protéine est indispensable à l'organisation en couches du cortex et à la structuration de l'hippocampe, zone clé de la mémoire et de l’apprentissage. Si la plupart des CR disparaissent après la naissance, leur présence transitoire est cruciale : une étude menée à l’Institut Imagine a montré que leur élimination précoce perturbe la migration neuronale et le bon développement des structures cérébrales. Les chercheurs ont notamment observé qu’un manque de Reln empêche la migration normale des neurones dans le cortex, et que les CR influencent aussi la formation des plis du cerveau, indépendamment de cette protéine. Ces plis, qui augmentent la surface corticale, sont altérés dans certaines maladies génétiques rares, comme les pachygyries (cortex trop lisse) ou les polymicrogyries (cortex anormalement plissé). Ces travaux offrent ainsi de nouvelles pistes pour comprendre l’origine de ces malformations et affinent notre connaissance du rôle de Reln et des CR dans le développement cérébral.

Le développement du cortex cérébral des mammifères repose sur la coordination précise de la structuration et de la prolifération des progéniteurs, de la spécification des identités cellulaires et de la migration neuronale, qui permettent finalement l'établissement de circuits fonctionnels matures. Les cellules de Cajal-Retzius (CR) jouent un rôle clé dans ces processus. Les CR font partie des neurones les plus précoces du cortex cérébral, la couche externe du cerveau qui lui donne son aspect en sillons.

Peu après la naissance, les CR subissent une mort programmée (dite apoptose) et disparaissent presque complètement, bien qu’on estime qu’environ 15% d’entre elles survivent jusqu'à l'âge adulte dans l'hippocampe, cette structure cérébrale qui joue un rôle central dans la cognition, la mémoire, l'apprentissage et le repérage dans l'espace. Il a été démontré qu'un contrôle précis de la présence et de la disparition des CR était essentiel pour l'établissement des circuits corticaux et hippocampiques.

Il existe une grande diversité de types de CR ; toutefois, toutes partagent aussi des caractéristiques communes, notamment l'expression de la protéine sécrétée Reelin (Reln). La Reln est une glycoprotéine strictement nécessaire à l'établissement du schéma en couches du cortex cérébral, et de l'organisation de l'hippocampe. Cependant, la fonction précise de Reln reste insaisissable : il a été proposé à la fois qu’elle permet de promouvoir la migration neuronale, mais aussi d'agir comme un signal d'arrêt.

La contribution spécifique des CR et de la protéine Reln à la corticogenèse a été étudiée en observant des modèles génétiques déficients en un ou plusieurs types de CR, ce qui entraîne une compréhension incomplète des conséquences de la perte des CR au stade embryonnaire et souligne la nécessité d'une caractérisation moléculaire supplémentaire. L’équipe de Frédéric Causeret, au sein du laboratoire « Génétique et développement du cortex cérébral » dirigé par Alessandra Pierani à l’Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université Paris Cité), a récemment mis en évidence les mécanismes moléculaires impliqués dans la spécification du destin d’un certain type de CR.

En collaboration avec l'équipe de Nathalie Spassky à l’IBENS (Institut de Biologie de l'ENS), ils ont déclenché leur mort massive au cours du développement embryonnaire, afin d'évaluer l'impact d'une telle perte massive de CRs, après une courte période de présence régulière, sur le développement cortical et hippocampique. Ils ont ainsi découvert qu'en cas de déficience en Reln synthétisée par les CR au milieu de la corticogenèse, la migration radiale dans le cortex est arrêtée. Les CR ont également un impact sur la formation des fissures de l'hippocampe et le pliage du cortex, mais de manière indépendante de Reln.

Un siècle après leur description initiale par Santiago Ramón y Cajal et Gustaf Retzius, les CR sont restés un type de cellule peu étudié. Ces résultats soulignent l'importance de la Reln dérivée des CR pour assurer l'arrêt correct de la migration des neurones pendant le développement du cerveau. Des travaux supplémentaires seront nécessaires pour évaluer dans quelle mesure les acteurs moléculaires contribuent aux fonctions indépendantes de Reln pour les CR.

En outre, les CR et Reln semblent être des acteurs potentiels dans le pliage du cortex. Pour augmenter sa surface, le cortex est plissé par des sillons de profondeur variable, délimitant des crêtes appelées gyrus. Or, il existe des maladies génétiques qui affectent le bon déroulement de la gyration, c'est-à-dire la formation des circonvolutions cérébrales au cours de l'embryogenèse, et de différents types : déficit de gyration conduisant à un cortex insuffisamment plissé (pachygyries), soit à l'inverse une gyration excessive conduisant à des sillons petits et nombreux ou grands mais peu nombreux (polymicrogyries).

Ces travaux, dont les résultats ont été publiés récemment dans le journal scientifique Development, apportent des informations précieuses sur la pathogenèse des troubles du développement du cortex cérébral liés à la présence ou l’absence des CR et de Reln. Ils viennent également enrichir la compréhension du rôle précis de la protéine Reln, dont plusieurs mutations ont déjà été identifiées chez des patients touchés par des malformations corticales.

Référence :
Differential contribution of P73+ Cajal-Retzius cells and Reelin to cortical morphogenesis
V Elorriaga et al, Development, 2025
Corresponding author : Frédéric Causeret
doi:10.1242/dev.204451